Les arcanes de la justice française

Tout le monde se trouve confronté, un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre, à un problème de justice : on peut être auteur ou victime d’une infraction ou d’un préjudice quelconque, qu’il faut réparer, dont il faut répondre ou obtenir réparation. A moins d’être juriste ou d’avoir la chance de fréquenter les salles de classe ou les amphis, on est souvent démuni de la connaissance des notions élémentaires de droit. Pourtant, cette connaissance peut s’avérer utile pour agir ou réagir à bon escient, ou tout simplement pour comprendre l’actualité judiciaire. D’où l’intérêt de savoir combien d’ordres de juridictions il existe dans l’organisation de la justice française, ce que signifie le principe de double degré de juridiction, la différence qu’il y a entre les juridictions du fond et les juridictions suprêmes, ce que signifie le principe de la légalité des crimes et délits ainsi que l’essentiel des aspects de la procédure pénale.

 

Les ordres de juridiction

 
La justice en France est assurée par deux ordres de juridiction : les juridictions de l'ordre judiciaire et les juridictions de l'ordre administratif, juridiction étant un terme générique qui désigne tout organe habilité à rendre des décisions de justice. L'ordre judiciaire traite des litiges entre  particuliers : il n'y a pas d'administration au procès. L'ordre administratif traite des litiges dans lesquels l'administration est impliquée : l'une des parties au procès – ou toutes les deux – est une personne publique.
 

Le principe de double degré de juridiction


La justice française est organisée suivant le principe dit de double degré de juridiction : la partie (le demandeur ou le défendeur1) déboutée (qui a perdu le procès) peut toujours demander que le litige soit réexaminé par une juridiction de degré supérieur. Cela s'appelle exercer un recours, les différents degrés étant autant de voies de recours. Aussi existe-t-il une hiérarchie juridictionnelle dans la procédure judiciaire française. Les juridictions de 1er degré ou 1ère instance (tribunaux) rendent des décisions (jugements) qui sont contestées auprès des juridictions de 2nd degré ou 2nde instance (cours d'appel), dont les décisions (arrêts d'appel) sont à leur tour contestées auprès des juridictions suprêmes (Cour de cassation pour l'ordre judiciaire et Conseil d'État pour l'ordre administratif).

 

Le principe de double degré de juridiction permet à une partie au procès d'exercer deux types de recours :

  • interjeter appel (sic : on ne dit pas *interjecter ; mais on dit une interjection d'appel !) pour contester un jugement ;
  • se pourvoir en cassation pour contester un arrêt d'appel (on parle de pourvoi en cassation).

Après les arrêts des juridictions suprêmes, il n'y a plus de voie de recours interne (possibilité de contester une sentence), sauf à demander la grâce présidentielle. (Recours interne car il existe une voie de recours externe : la saisine – on ne dit pas *saisie – de la Cour européenne des droits de l'homme. Située à Strasbourg, la CEDH peut être saisie par tout citoyen de l'Union européenne ou tout État ayant ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – seulement après épuisement des voies de recours internes et jusqu'à six mois après la sentence définitive. La Cour de Strasbourg est chargée d'appliquer cette Convention, qui, de par sa valeur de traité, s'impose aux États signataires.)

 

Le double degré de juridiction désigne donc la possibilité offerte à tout justiciable d'exercer un recours contre une décision de justice.

 

Aussi bien dans l'ordre judiciaire que dans l'ordre administratif, la procédure judiciaire est la même : double degré de juridiction et donc hiérarchie juridictionnelle.
 

Juridictions de fond / juridictions suprêmes

 

Les juridictions suprêmes (Cour de cassation et Conseil d’Etat) occupent le trône de l'organisation judiciaire. En effet, leurs décisions (arrêts), contrairement à celles des juridictions du fond (tribunaux et cours d’appel), ne peuvent en aucun cas faire l'objet du principe de double degré de juridiction : elles ne sont pas contestables. Cela est dû au rôle que jouent ces juridictions : elles uniformisent l'interprétation de la règle de droit et contribuent ainsi à l'égalité juridique de tous les citoyens devant la loi.


La Cour de cassation et le Conseil d'État ne jugent qu'en droit : loin de juger les litiges, ces deux gardiens du droit se contentent de vérifier si les juridictions du fond ont correctement appliqué et interprété la règle de droit. Les juridictions ou juges du fond, eux, jugent à la fois en fait, c'est-à-dire les litiges, et en droit.


Parce qu’elles ne jugent qu'en droit, les juridictions suprêmes jugent les sentences  (décisions judiciaires : jugement ou arrêt) des juges du fond. Pour ce faire, elles rendent deux types d'arrêts : les arrêts de rejet  et les arrêts de cassation. L'arrêt de rejet rejette le pourvoi formé par la partie qui s’est pourvue en cassation ; il confirme donc l'arrêt d'appel, dont les solutions retenues auront force exécutoire : elles vont s'imposer à la partie perdante. L'arrêt de cassation casse l'arrêt d'appel : la partie qui s'est pourvue en cassation a gagné le procès.


Il existe donc deux termes pour désigner une décision de justice : jugement et arrêt. Le premier désigne la décision d’un tribunal ; le second, celle d’une cour d’appel, de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat. Les décisions des cours d’appel sont accompagnées de la mention du lieu où siègent ces juridictions. On dira alors : un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, par exemple, mais : un arrêt de la Cour de cassation, ou un arrêt du Conseil d’Etat, sans mention de lieu, autrement ce serait pléonastique car ces juridictions siègent à Paris (remarquez au passage que, comme c'est une institution unique, son initiale est  en majuscule : on écrit la Cour de cassation, mais la cour d'appel de Paris).  

 

Contester une décision de justice se dit différemment selon qu’il s’agit d’un jugement ou d’un arrêt : interjeter appel, c’est contester un jugement ; se pourvoir en cassation, c’est contester un arrêt.
           

Le principe de la légalité des crimes et délits


Le principe de la légalité des crimes et délits a pour souci l’équilibre entre l’ordre public et les libertés individuelles. Il ne faut pas, au nom de la société, priver les citoyens de ce que John Locke, philosophe anglais du XVIIe s., appelle les « droits naturels » (le droit de propriété, la liberté individuelle, la sûreté de sa propre personne, le droit de résistance à l’oppression, etc.). C’est une garantie contre l’arbitraire, caractéristique des Etats totalitaires. Dans un Etat de droit, en revanche, l’Etat et ses représentants (le pouvoir exécutif) se soumettent à la loi, expression de la volonté générale exprimée par le peuple par l’intermédiaire de ses représentants (les députés). En protégeant le citoyen contre l’arbitraire, le principe de légalité des crimes et délits assure la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif (le gouvernement) et le Législatif (le parlement), un des traits caractéristiques d’un Etat de droit : le citoyen est protégé par la loi contre d’éventuels dérapages des gouvernants, qui, eux-mêmes, sont soumis à la même loi.

 

Ce principe signifie qu’aucun comportement ne peut être qualifié d’illégal tant qu’il n’a pas été prévu comme tel par la loi. Autrement dit, personne ne peut être sanctionné pour une faute qui n’est pas reconnue comme pénale, c’est-à-dire punissable par la loi. Le comportement fautif et la sanction doivent être connus d’avance ; c’est au législateur de définir l’infraction et de déterminer la peine encourue.


L’article 4 de l’ancien Code pénal dispose : « Nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis. »


Le parlement a la compétence exclusive de créer les crimes et délits ; cette compétence est, en revanche, partagée avec le pouvoir exécutif pour les contraventions.


Le principe de la légalité des crimes et délits est le fondement de la procédure pénale.
 

Quelques aspects de la procédure pénale


On oppose la procédure pénale à la procédure civile. La première se déclenche en cas d’infraction tandis que la seconde a lieu en cas de préjudice non qualifié d’infraction.

 

Une infraction est une atteinte aux règles que l’Etat et les collectivités publiques (régions, départements, cantons, mairies) estiment nécessaires au bon fonctionnement de la société ; cette atteinte est sanctionnée par la loi ou le règlement selon le principe de la légalité des crimes et délits.


Le Code pénal français classe les infractions (il en distingue trois types : la contravention, le délit et le crime) selon leur degré de gravité, mesuré par la peine maximale encourue[2] : une amende pour une contravention[3], un emprisonnement de moins de dix ans pour un délit[4], une réclusion (crimes de droit commun)  ou une détention (crimes politiques) criminelle d’au moins dix ans pour un crime[5] ; une contravention  (exemple : tapage nocturne) est moins grave qu’un délit (exemple : vol à l’étalage), qui, à son tour, est moins grave qu’un crime (meurtre, viol, proxénétisme, etc.). Attention ! le crime, ici, ne signifie pas exclusivement homicide ; il s’agit de toute infraction qui n’est ni une contravention, ni un délit.


La juridiction compétente pour statuer sur les affaires pénales est différente selon le type d’infraction : la contravention relève du tribunal de police (chambre pénale du tribunal d’instance), le délit du tribunal correctionnel (chambre pénale du tribunal de grande instance) et le crime de la cour d’assises.


Un procès pénal oppose donc les particuliers à la société, qui est représentée par le procureur de la République. Un procès civil oppose, lui, les particuliers entre eux ou avec les collectivités publiques dans un domaine où il n’y a pas d’infraction. Il n’y a pas de procureur de la République dans un procès civil.

 

Le procureur de la République est le patron de ce qu’on appelle indifféremment le parquet ou le ministère public, qui a pour mission de juger de l’opportunité des poursuites : il décide (hypothèse de poursuite) ou non (hypothèse de classement sans suite) d’envoyer l’auteur présumé devant les juridictions pénales. Il le fait par citation directe pour des affaires simples (l’auteur présumé, le prévenu, est directement convoqué devant la juridiction compétente),  par ouverture d’une information judiciaire (une instruction, c’est-à-dire une enquête, est demandée au juge d’instruction contre l’auteur présumé, appelé à ce stade le mis en examen ou l'inculpé) pour des affaires complexes.

 

Le juge d’instruction est saisi soit par le procureur de la République, soit par la victime ayant porté plainte avec constitution de partie civile. On parle dès lors de mise en examen ou d'inculpation, l’auteur présumé faisant l’objet d’une instruction en vue de la manifestation de la vérité sur l’affaire. L’information judiciaire se termine soit par une ordonnance de non-lieu (aucune charge n’est retenue contre le mis en examen), soit par une ordonnance de renvoi (le mis en examen est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés, au stade de l’instruction). Cette dernière hypothèse donne lieu à deux procédures : le mis en examen est renvoyé devant le tribunal de police en cas de contravention, devant le tribunal correctionnel en cas de délit ; en cas de crime, le juge d’instruction le renvoie devant la chambre d’accusation (chambre pénale de la cour d’appel), qui se chargera ensuite de prononcer ou un arrêt de non-lieu s’il est innocent ou un arrêt de renvoi  devant la cour d’assises s’il est coupable, auquel cas il devient l’accusé.


Quelle que soit l’étape de la procédure pénale, un principe est de rigueur : la présomption d’innocence. Le prévenu, le mis en examen (l'inculpé) et l’accusé sont présumés innocents jusqu’à leur condamnation par la juridiction compétente, auquel cas ils deviennent des condamnés. Dans le cas contraire, ils sont relaxés (cas d'un prévenu ou d'un mis en examen) ou acquittés (cas de l'accusé) : la relaxe est une décision du tribunal correctionnel ou du tribunal de police qui acquitte (déclare non coupable) un mis en examen ou un prévenu, ce terme ne s'emploie pas pour désigner l'arrêt de la cour d'assises ; l'acquittement est une décision de la cour d'assises qui acquitte un accusé, ce terme peut être employé comme synonyme de relaxe pour désigner les jugements du  tribunal correctionnel et de police. Il faut toutefois souligner que la non-culpabilité n'est pas le gage de l'innocence de l'auteur présumé car le relaxé ou l'acquitté peut avoir été déclaré non coupable au bénéfice du doute.

 

 

Fiche synthétique

  • 2 ordres de juridiction =  l'ordre judiciaire et l'ordre administratif
  • Juridictions du 1er degré = tribunaux
  • Juridictions du 2nd degré = cours d'appel
  • Juridictions du fond = tribunaux et cours d'appel
  • Juridictions suprêmes = Cour de cassation et Conseil d'Etat
  • Décision d'une cour = un arrêt
  • Décision d'un tribunal = un jugement
  • Contestation d'une décision de justice = interjeter appel pour contester un jugement ; se pourvoir en cassation pour contester un arrêt
  • 3 types infractions = contravention, délit et crime
  • Peine maximale encourue = amende pour une contravention ; moins de 10 ans d'emprisonnement pour un délit ; au moins 10 ans pour un crime
  • Compétence pénale = tribunal de police pour une contravention ; tribunal correctionnel pour un délit ; cour d'assises pour un crime
  • Ministère public = parquet, c-à-d organe chargé des poursuites pénales sous la houlette du procureur de la République

 

Quelle est la différence entre prévenu, mis en examen, inculpé, accusé, condamné, relaxé et acquitté, ordonnance de non-lieu et ordonnance de renvoi, relaxe et acquittement... ?

 

Le prévenu est l’auteur présumé d’une infraction qui comparaît devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, mais dont l’infraction ne fait pas l’objet d’une information judiciaire (enquête menée par le juge d'instruction).

 

Le mis en examen ou l'inculpé est l’auteur présumé d’une infraction qui fait l’objet d’une information judiciaire, mais qui n’est pas un crime au sens strict (rappelons qu’un crime au sens large désigne toute infraction), sinon c'est un accusé. Les termes mis en examen et inculpé sont donc synonymes.  Le professeur Jean-Paul Doucet souligne à ce propos qu' « une personne est "inculpée" lorsque le juge d’instruction, qui informe sur certains faits, oriente expressément l’information dans sa direction en raison des indices graves et concordants qui la pointent comme auteur ou complice de ces faits. On parle aujourd’hui de "mise en examen" (art. 80-1 C.pr.pén.), mais la notion même n’a pas changé. »

 

L’accusé est l’auteur présumé d’une infraction qui fait l’objet d’une information judiciaire, qui est un crime au sens strict – sinon c'est un mis en examen – et qui, pour cela, est transmise devant la chambre d’accusation.

 

Le condamné est tout auteur présumé d’une infraction (prévenu, mis en examen et accusé) qui est jugé coupable par une juridiction pénale.

 

Le relaxé est tout prévenu ou mis en examen qui est acquitté (déclaré non coupable) par un tribunal correctionnel ou de police à l'occasion d'un jugement appelé la relaxe.

 

L'acquitté est tout accusé qui est acquitté par une cour d'assises à l'occasion d'un arrêt appelé l'acquittement (d'où le terme acquitté).

 

L'ordonnance de non-lieu (on dit aussi : un non-lieu) est la décision rendue par un juge d'instruction lorsqu'aucune charge n'est retenue contre le mis en examen (= l'inculpé) ;  l'ordonnance de renvoi est la décision par laquelle un juge d'instruction renvoie le mis en examen contre lequel des charges sont retenues devant une juridiction pénale.

 

Différence entre  non-lieu et relaxe ou acquittement ? La distinction vient du fait que ces décisions de justice interviennent à des étapes différentes de la procédure judiciaire : le non-lieu intervient au stade de l'instruction ; la relaxe et l'acquittement, au stade du procès.

 

 

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Commentaires: 5
  • #1

    Beatrice (mercredi, 25 novembre 2015 09:32)

    Très bon aperçu du système judiciaire français, synthèse et explication claires et définitions facilement compréhensibles des termes juridiques principaux souvent confondus par le grand public (journalistes compris...)

  • #2

    Into (jeudi, 10 décembre 2015 09:14)

    Merci pour votre amour de nous transméttrez les matiéres

  • #3

    Mariano (samedi, 09 janvier 2016 16:41)

    Madame Monsieur bonjour,
    Quelle est la différence entre un détenu politique et un détenu de droit commun?
    Merci de bien vouloir me renseigner.
    Cordialement.
    G.M.

  • #4

    Romualdinho13 (dimanche, 10 janvier 2016 22:33)

    @ Mariano
    Un détenu de droit commun est une personne emprisonnée suite à une condamnation pour un crime qui n'est pas politique (ex.: vol à main armée, viol, meurtre, etc.). A contrario, un détenu politique est une personne emprisonnée pour une infraction dite "politique" (haute trahison, intelligence avec l'ennemi, atteinte à la sûreté de la Nation, etc.). On peut ranger dans cette dernière catégorie une large palette de prisonniers allant des détenus qui ont effectivement commis des crimes aux opposants politiques emprisonnés arbitrairement par diverses dictatures de par le monde.
    Vous trouverez infra une littérature sur la détention politique :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Infraction_politique_en_France
    https://criminocorpus.revues.org/2545
    Cordialement

  • #5

    Justin (jeudi, 19 mai 2016 18:38)

    Information